Le poète est formel, écriture et vie de famille sont incompatibles. Les contraintes domestiques ne conviennent pas à l’écrivain ivre de liberté. Je me braque, crie au cliché. (…) Mais je ne peux pas nier que j’ai égaré mes propres rituels. Qu’ai-je fait de mon imaginaire ces derniers temps ? Il ne suffit plus que je m’enferme dans mon bureau. Il faut retrouver de l’espace à l’intérieur. Où prendre le temps de tâtonner ? Mon cerveau est colonisé. Même absent, le bébé m’accapare.
Amandine Dhée, La femme brouillon
J’ai terminé ce livre tout à l’heure et ce passage en particulier a énormément réSONNé. Cela fait plusieurs semaines que j’essaye de prendre le temps, pour de vrai : j’ouvre mon journal, je me saisis de mon plus beau stylo et je me dis allez, écris.
rien ne se passe.
je vois les jours qui défilent, les pages qui restent blanches et j’ai peur, si je n’écris pas, que restera t-il ? des souvenirs vagues teintés par la fatigue de leurs premières années de vie. la vie qui me roule parfois dessus alors je n’ai pas le temps, je ne couche pas de mots pour la retenir, des mots que je voudrais qu’ils lisent plus tard mais que je n’écris pas. car j’ouvre mon journal et rien ne vient.
aujourd’hui, je suis allée chercher ma fille chez la nounou en sortant du travail. j’étais en avance. il y a trois ans, quand j’étais en avance je me précipitais à la crèche, vite il fallait que je sois avec mon fils, que je le serre contre moi, il fallait que je le voie pour respirer. aujourd’hui j’étais en avance. le soleil était doux, l’air avait cette fraîcheur encore agréable d’un début d’automne. je n’ai pas couru pour récupérer ma fille, bien que j’avais hâte de la retrouver. je me suis assise sur un banc, j’ai sorti mon livre et j’ai lu. j’ai pensé quel bonheur. je suis seule, il y a du silence, les feuilles rouges et jaunes qui volent autour de moi. je lis. j’ai lu. j’ai terminé mon livre. j’ai pris le temps d’être quelqu’un en dehors d’être sa maman. apprendre à respirer même quand elle n’est pas là. je ne l’aime pas moins que je n’aimais mon fils quand il avait son âge. par contre je pense que je l’aime mieux. c’est ça la parentalité avec un deuxième bébé, on a appris.
j’ai réalisé que je savais pourquoi j’étais bloquée dans mon écriture.
dans ma détermination à vouloir écrire leur souvenirs je faisais fausse route. j’ouvre mon journal, j’écris; aujourd’hui elle a beaucoup pleuré, elle fait ses dents. aujourd’hui nous sommes allés au parc, il s’est mis à pleuvoir et il était contrarié de ne pas avoir mis ses bottes. ce sont des souvenirs et ils sont vrais. pourtant je ne comprenais pas pourquoi je ne prends pas plaisir à consigner les journées, cela m’ennuie et c’est pour cela que souvent les pages restent vides. je me suis arrêtée sur un banc ce soir et maintenant je sais pourquoi;
j’a réalisé que ce n’est pas ça, ce qu’il faut que j’écrive. ce n’est pas leurs souvenirs, qu’il faut que j’écrive.
je suis prête à mettre ma main à couper que ni mon fils, ni ma fille n’auront de l’intérêt à savoir que le 27 octobre 2024 ils ont beaucoup pleuré où qu’ils étaient contents de manger du gâteau au chocolat. dans ma détermination à vouloir écrire pour qu’ils se souviennent de leur enfance, je faisais fausse route. je peux écrire leurs souvenirs, mais c’est le je qu’il faut que je consigne. si ma mère avait écrit quand j’étais plus jeune, j’aurais envie de la lire pour la retrouver, elle. qui elle était. ce que la maternité a fait d’elle. je l’ai toujours connue mère, mais je n’ai pas vu sa matrescence.
je crois qu’on a toustes déjà ressenti de la fascination en voyant des photos de nos parents plus jeunes. je laisserai bien sûr quelques photos, mais ce sont mes écrits qui pourront mieux leur dire qui j’étais. à travers moi ils pourront se voir eux, et y raccrocher leurs souvenirs. l’écriture part toujours de soi et je l’avais oublié. j’écris pour que mes enfants se souviennent, mais je n’avais pas compris que j’écrivais pour qu’il se souviennent de moi.
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